samedi 5 juillet 2008

La grande vadrouille

Faut se rendre a l’évidence, je crois que mes vacances sont un peu tombées dans la poubelle avec les déchets médicaux à risque infectieux... par contre, depuis les deux semaines que dure cette expérience de vie inédite pour moi, j’en ai vu, du pays !
En premier j’ai visité les urgences d’un petit centre hospitalier de ma cambrousse par l’entrée piétons. « Ce qui frappe au premier abord quand on franchit les frontières de cette terre encore vierge », comme dirait Nicolas Hulot entre deux expirations sonores, c’est que, justement, c’est vierge. Désertique. Ambiance Gobi en moins accueillant, quasi. Ya bien un comptoir mais ya personne derrière. Ya bien une porte vitrée avec un panneau pourri « URG N ES » au-dessus et un long couloir derrière, mais là non plus personne.
Alors comme quand même j’ai beau pas avoir été annoncée par un gyrophare ou une sirène je suis quand même un petit peu à l’agonie, je commence à me demander si je m’allonge plutôt sur le lino gerbique ou carrément sur le comptoir pour être sûre que les gars me trouvent quand ils auront fini leur pause café ou qu’on sera dans les heures de bureaux réglementaires (quelle idée aussi d’agoniser avant 8h30 un samedi !). Je finis par opter pour une position intermédiaire à savoir couchée du buste sur le comptoir et les pieds toujours par terre pour tenter de limiter le contact de ma tronche avec le lino gerbique.
C’est là qu’entre deux évanouissements je finis par voir un tout petit écriteau qui dit « en cas d’absence, sonnez ici ». Et effectivement dessous ya un bitoniau micronesique blanc sur fond blanc. Faites-moi penser à ajouter au livre d’or et au cahier à idées avant de partir qu’un buzzer king size et rouge serait quand même plus approprié, merci.
Donc j’appuie poliment une fois sur la sonnette. Rien. No bruit, no mouvement. Je finis par tenter en morse autodidacte de biper comme une forcenée histoire qu’ils comprennent que j’étais pas là pour leur vendre un aspirateur et que ce serait sympa qu’ils raboulent leurs fesses par ici avec un brancard rapido paske j’ai de plus en plus de mal à maintenir mon nez à distance respectable du lino gerbique.
Une pouffe en blanc finit par se pointer avec un air indigne en me balançant « Vous avez un problème ? »... Mini ola en l’honneur de moi et de ce grand moment de maîtrise karmique pour pas lui faire bouffer sa blouse ni rétorquer « Non, patate, tout va bien, je croyais juste que c’était la journée portes ouvertes et j’ai toujours rêve de visiter les urgences »...
J’ai donc fini par visiter une des salles des urgences. Rien de bien spectaculaire. Assez flippant même rapport a la déco... déjà paske les murs couverts de papier peint saumon floqué en relief je suis pas 100% sure que ça puisse se désinfecter suffisamment pour garantir une hygiène décente aux pauvres gens qu’ils sont censés pouvoir découper en tranches à coeur ouvert dans cette salle... et pis surtout paniquant paske une grande partie du papier peint en question est décoré de tout un tas d’affiches sur comment faire un massage cardiaque et un bouche-à-bouche, comment réagir en cas d’hémorragie massive, comment détecter un choc anaphylactique... du coup tu peux pas t’empêcher de te demander si t’as vraiment envie de presque crever entre les mains de docteurs qui ont besoin d’avoir leurs anti-sèches placardées partout pour savoir ce qu’ils doivent te faire... et d’ailleurs comme ma maladie a moi était visiblement marquée sur aucun des posters, ils m’ont gentiment renvoyée chez moi avec du Doliprane.
Pendant mes vacances médicales, j’ai aussi testé pour vous plein de moyens de transports. Parait que des fois quand on voyage, faut savoir apprécier le trajet autant que la destination... ben là pour le coup, c’est clair que j’ai bien profité, DES voyages.
Mon premier contact avec le transport d’urgence ça a été les pompiers du village. Alors certes ils doivent faire agriculteur la semaine, avoir des vaches super moins douillettes que moi et une dextérité digne du concours cantonal au parcours d’obstacles en tracteur, mais pour ce qui est de transporter mon pauvre petit moi agonisant alors là pardon mais ya du boulot. Quand ils se pointeront cette année pour fourguer leur calendrier, je ne donnerai ma pièce que sur preuve écrite que mon obole ira à la formation au transport de malade.
Paske déjà après avoir carrément marche sur mon lit avec leurs bottes pleines de bouse, ils ont failli me faire définitivement décéder de rire quand, après avoir constaté que j’étais qu’à demi consciente, incapable de parler ou de bouger un orteil, leur boss a quand même eu le courage de me dire « euh, l’escalier est pas large (il a failli ajouter « et vous oui » mais a dû craindre pour sa vie), vous êtes sûre que vous pouvez pas descendre à pied ? ». De la haute voltige niveau comique, quand même.
Ils ont d’ailleurs continué sur le même registre un moment, puisque une fois que le petit stagiaire a rapporté le brancard, ils en ont remis une couche en me demandant si je pourrais pas faire un effort et me déplacer dessus paske là vraiment ils savaient pas par où me prendre pour me soulever... et le clou du spectacle (cette partie de l’histoire m’a été racontée plus tard par Chouchou paske là moi j’étais complètement dans les vapes, entre morte de rire et morte tout court): une fois qu’ils m’avaient violemment fait rouler sur le brancard et qu’ils m’avaient bien sanglée, au moment de le gonfler pour le rigidifier, le stagiaire a juste explosé la pompe ! Après un florilège de jurons locaux avé’ l’accent, ils ont tenté de gonfler le truc avec la pompe à pied anti-crevaison du camion, puis avec la poire à ventilation d’oxygène, sans grand succès... Ils m’ont donc descendue dans un espèce de sac en plastoc pas gonflé donc ni rigide ni amortissant et j’ai bien senti les marches de mon escalier étroit quand ils m’ont cogné successivement les pieds, le dos puis la tête sur absolument chacune d’entre elles, ainsi que sur le mur, la rampe et l’encadrement de la porte... C’est à ce moment-là que j’ai repris connaissance (ce que je devais regretter par la suite) comme quoi des fois assommer quelqu’un ça peut aussi le réveiller.
Une fois délicatement balancé mon corps meurtri dans l’ambulance, ça a continué à être drôle. Une fois que chaque pompier, plus l’infirmière et le doc des urgences qui étaient arrivés entre-temps m’ont eu posé ma question préférée « z’avez mal ou ? », ils ont entrepris de me « conditionner pour le transport », à savoir me ficeler bien serré sur le brancard, en oubliant pas de bien bien retendre la sangle qui m’entaillait déjà le ventre. Et aussi me brancher au scope qui contrôlait ma tension, ma respiration et tout le tralala qui pèse ses 20kg bien tassés et qu’ils ont trouvé super pratique d’entreposer sur mon bide « euh, pardon, mais on a plus d’autre endroit ou le mettre » c’est excusé le stagiaire quand j’ai hurlé dans le dialecte local « putain con enculé » histoire d’être bien sûre qu’il comprenne que fallait ptet pas trop pousser Mémé quand même...
Malheureusement tout ça n’a pas suffi à me faire définitivement reperdre connaissance et j’ai pu bien profiter des 20 bornes de route de campagne et dos d’ânes de centre-villages pris à 180km/h par le chauffeur qui visiblement a des posters de Sébastien Loeb partout dans son salon. J’envisage d’ailleurs d’acheter un second calendrier l’an prochain pour financer l’achat d’amortisseurs pour le camion...
Une fois re-arrivée aux urgences, par l’entrée ambulance cette fois, ils ont entrepris de me brancarder toujours aussi délicatement jusqu’à une chambre. Alors, je pose la question aux autorités compétentes : quand on fait un appel d’offre avant de faire construire un hôpital, est-ce qu’on choisit un architecte qui a déjà eu une maladie quelconque et qui donc a déjà foutu les pieds une fois dans sa vie dans un hosto ? Pas la peine de vous défendre, mademoiselle C., la réponse est NON. Paske c’est juste pas possible qu’un gars qui a déjà été brancardé puisse ne serait-ce qu’avoir l’idée de construire un hosto avec autant de dénivelés, de micromarches, de sursauts et surtout de foutre au sol du lino gerbique coupé dans le mauvais sens qu’ils sont obligés de te coller un raccord barre de fer tous les deux mètres histoire de bien te secouer pour te rappeler où t’avais mal des fois que t’aurais subitement un trou de mémoire. Je suis sûre que quelque part si ils cherchent bien il doit y avoir un gars capable de pondre un bâtiment où les couloirs sont des surfaces planes, un ingénieur capable de concevoir des roulettes de brancard qui se bloquent pas intempestivement, et je suis quasiment sure que brancardier c’est un métier mais ils doivent s’entraîner qu’avec des mannequins factices ou des cadavres qui peuvent pas se plaindre...
Il y a eu par la suite un paquet de steeple-chase du genre dans les couloirs des divers hôpitaux et services visités, en brancard, en fauteuil, en lit... (Apparemment il y a des différences invisibles mais primordiales entre un lit des urgences, un lit de gynéco, un lit de chir. viscérale et ainsi de suite, ce qui rajoute donc à tout ce fun la joie immense de devoir être propulsée de l’un à l’autre entre deux parcours de saut d’obstacles)
Après avoir donc visité et testé les lits et couloirs des services des urgences, de maternité, de gynécologie et de soins intensifs de mon petit hôpital de proximité, tous les docteurs présents (c’est à dire qui n’avaient pas de repas de famille ou tournoi de golf ce jour-là – un dimanche – ou de champ à moissonner d’urgence) ont décide d’un commun accord qu’ils ne pouvaient rien pour moi, que visiblement j’agonisait sans aucune raison, et qu’il vaudrait mieux pour tout le monde qu’on me transfère au grand hôpital de la grande ville pour me faire un scanner histoire qu’ils puissent rentrer chez eux avant que Mémé ait fini tout le reste de coq au vin.
Donc re-ambulance. Dans un éclair de lucidité j’ai supplié en me mettant virtuellement à genoux qu’on me shoote avant le transport paske la vraiment la perspective de me retrouver encore bringuebalée comme un sac à patates par un pilote de F1 refoulé me paraissait quasiment pire que ce qui m’attendait si on ne trouvait pas rapidement pourquoi je mourrais. Bien sûr dans sa grande bonté l’anesthésiste de garde a refusé de m’assommer de morphine... mais je dois avouer ici que malgré la loyauté que je devrais aux pompiers par respect pour la carrière paternelle, franchement, le gars du Samu, c’était juste rien a voir. Déjà lui il avait dû y aller, aux cours de brancardage, pask’il a trouvé un moyen pour me mettre sur le brancard ET me rouler dans le couloir sans que j’aie à le supplier de m’achever. Et en plus il m’a dit avant de démarrer « vous inquiétez pas, on va y aller tout doux » et avant même que j’ai eu le temps de lui dire que désolée je croyais plus au père noël depuis environ 25 ans, il l’a FAIT. La route était tout aussi pourave que celle qu’on avait pris avec Shummy le pompier, sauf qu’il s’avéré qu'en faisant un poil gaffe c’était possible que j’aie envie de survivre jusqu’à l’arrivée a l’hosto. Je suis donc obligée de renier après 30 ans de bons et loyaux éloges tous les pin-pons rouge et de reconnaître qu’on était dures quand on se moquait des ambulances blanches et bleues en disant qu’elles faisaient « crève-en-route » comme musique.
La vérité étant rétablie sur ce point, poursuivons le périple ulysséen...
Arrivée au grand hôpital de la grande ville, j’ai failli arrêter d’aimer le Samu-man quand il a commence à tailler le bout de gras avec son collègue qui l’attendait pour la relève sur le thème « ah meeerde, c’est le nouveau B-23-E dans celle-là, tu sais comment on le sort, le brancard ? » et que donc ils se sont mis à le secouer, le cliquer, le décliquer, l’incliner dans tous les sens alors que j’étais toujours vissée dessus à jeun de morphine... Après au bas mot 15 minutes de manips acrobatiques et douloureuses, de roues bloquées, d’effondrements imprévus paske les pieds se bloquaient pas, ils on fini par réussir à me mener aux urgences.
Rassurée, déjà, j’ai constaté que les murs de la salle étaient stérilisables au karsher, qu’il n’y avait pas de pense-bête sur « comment ne pas laisser crever son patient sans rien faire » au mur, et que dans les 5 minutes j’avais un médecin urgentiste, un radiologue, un gynéco et un chirurgien tous appuyés sur mon bide pour donner leur avis.
J’ai ensuite visite la scanner room, ambiance navette spatiale très rassurante de technologie de pointe. Encore 3 ou 4 docs différents sont venus m’enfoncer leurs mains dans l’abdomen agonisant et ils ont tous fini par une réunion informelle avec au programme visionnage commenté de l’intérieur de moi sur les images du scanner. Apparemment ils ont trouvé tout ça juste subliiime, le chirurgien avait l’air tellement emballé quand il m’a dit « je vais devoir vous ouvrir, et ça va pas être un petit trou » que presque j’ai pas paniqué. Il a dit qu’il avait rien vu d’aussi massif comme pourriture intérieure généralisée depuis un moment et ça avait l’air de le mettre en joie de se taper enfin une opération un poil intéressante avec une once de défi professionnel que limite je me suis réjouie pour lui.
A ce stade tfassons, j’étais d’accord pour qu’on me coupe ce qu’on voulait inclus la tête tellement ça faisait quand même 48h que j’en chiais ma race de douleur et que personne voulait me donner de morphine à haute dose ni admettre que j’étais pas qu’une hypocondriaque constipée super douillette.
De là après m’avoir un peu abandonnée à mon sort pendant quand même 1h sur mon brancard des urgences (le chir. devait être en train appeler ses potes de promo pour frimer qu’il allait se faire une teuf de folie au bloc) on m’a roulée en salle d’op’ pour m’endormir et là tout s’est passé très vite : en trente secondes j’étais à poil, charlottée, ballonnée et crucifiée sur la table (oui, j’avais jamais vu ça dans Urgences mais ici on opère les bras en croix) et l’anesthésiste se penchait sur moi pour me dire « Je vous préviens, comme ça à l’air moche et qu’on sait pas combien de temps ça va durer ni à combien ils vont s’y mettre, moi je vous endors pour 24h comme ça on est parés ».
15 secondes après je me réveillais en réa avec un pieu dans la gorge qui essayait de m’étouffer alors qu’ils osent appeler ça un respirateur ! J’étais shootée comme un âne à la morphine, j’avais plus mal nulle part, j’étais love de tout le monde et comme j’avais des tuyaux de partout et interdiction de bouger, je pouvais même pas regarder l’ampleur des dégâts cicatriciels. Le bonheur !
Donc finalement je persiste et signe : dans le voyage médical, le mieux c’est vraiment pas le trajet, c’est la destination !

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